Il n'est aucun empire humain, Au dessus de moi je ne vois que des oiseaux de mer.

11 mars 2011

La recherche d'une vie et la recherche d'une âme sont une seule et même chose. Dans la nuit, je ne savais où aller. Puis je vis une porte, revêtue de plusieurs couleurs mélangées, prise comme dans un étau par le mur, repoussée de tous côtés, et aspirant mon regard. Plus je m'approchais, plus la chaleur était intense, et lorsque je saisis la poignée, je fus projeté dans un espace vide, dont je ne compris ni le sens, ni l'orientation. J'aperçus enfin quelques lueurs, qui ressemblaient à des nuages épars, puis un horizon de vagues morcelées, et dans les ténèbres, je traversais les cieux et arrivais sur le sol.


Autour de moi, comme dans un mauvais rêve, des courants glacés m'enserraient peu à peu, jusqu'à ce que mon âme délavée et délaissée, m'abandonna. Je vis une lumière monter, disparaître enfin de mon champ de vision, et je sus que mon voyage était sans retour. Mes troubles prirent fin et ma conscience se stabilisa. Je vis quelques reflets apparaître, sur une terre insipide et malléable, et mes doutes s'écartèrent, car enfin je perçus dans quelle terrible situation je me trouvais.


Je fis donc trois fois le tour de la terre. La première fois, je vis la vacuité, je ressentis du chagrin. La seconde fois, je vis la vanité, je ressentis du remords. La troisième fois, la vérité me frappa comme une pierre sur un crâne dégarni : cette aventure est une farce, et j'arrêtai toute entreprise d'exploration. Je me réveillai alors derrière un carreau, au dernier étage d'un grand immeuble, terne, habituel, comme fabriqué de poussière. Un grand nombre d'êtres inconnus se blottissaient entre ces murs froids et imbriqués, éclairés de lumière artificielle. Au-dehors, le ciel irisé étouffait les sirènes s'élevant de la tiédeur invisible composée par autant d'édifices de ce genre.


Avais-je perdu l'esprit ? Je me mis à courir, dans toutes les directions. Il fallait regarder attentivement, peut-être l'issue était-elle proche, insoupçonnée, derrière ce vieux portail, au fond de cette cour, ou bien au-dessus des toitures, entre ciel et terre ? Peut-être à l'endroit même où je me tenais ? Mais au milieu de cette nuit n'appartenant à aucune saison, je savais que je ne pourrais résoudre ce mystère, je m'assis donc à même le sol, en attendant le lendemain. Je savais aussi que cette ville étrange attendait de moi un tribut, et je sachant pas de quoi il s'agissait, j'attendais qu'un signe puisse m'expliquer ce qu'il me restait à faire.


Je me levai résolu, et je vis la circulation reprendre peu à peu comme motivée par un fil reliant chacun à une destination inconnue, et je vis chacun s'avancer, furtivement, au travers des rues et avenues, vers les activités que livraient cette nouvelle journée. Encore transi par le froid, je réalisai qu'une grande partie de mes pensées de la nuit précédente, que je devais appliquer désormais, avaient perdu leur cohérence. Elles s'évanouirent rapidement de mon esprit, tandis que je m'observai les nombreux fils invisibles des êtres qui passaient dans un sens, puis dans un autre, et je m'efforçai de comprendre ces mouvements ordonnés.


Je rencontrai alors une enfant, élusive et frêle comme un pétale, qui semblait également égarée. Elle ne répondait à aucun nom, et me guida jusqu'au centre de la ville, pour me pointer une très ancienne et curieuse fontaine, dont l'eau brillait d'une couleur que je jurai connaître. Tout en haut d'une colonnade, s'épanouissait trois fleurs blanches, fines et harmonieuses. Je fus saisi de stupeur lorsque je les vis noircir et flétrir dès lors que je m'en approchai. Je compris alors que je ne pourrais les atteindre sans recevoir une aide extérieure, capable d'extraire de mon corps les facteurs à l'origine de ce funeste effet. Sans mot dire, je me retournai et compris. Douce, voluptueuse, la mort retire le soupçon de légèreté au-dessus des êtres. Dès cet instant, je sus que la mort était en moi, et qu'elle me suivrai. Je suffoquais, car je manquais de toutes choses, n'avait d'autre choix que d'obéir, de supporter un être que je connaissais pas, qui reçut mon propre nom, et horrifié, j'avançais malgré tout. J'avançais et je continuais, misérable et mortel, retrouvant à l'esprit des souvenirs que personne n'aurait osé demandé.


Il y a dans la beauté le reflet du futur, ce qui n'est pas beau appartient déjà au passé et disparaît en lui. Ce qui est beau vit au-delà de la sphère d'existence, Une faible poussière s'élève dans la lumière et disparaît. Un tourbillon s'élève et la vie des hommes s'éteint. Maintenant qu'il ne subsiste rien, un grand dômes de nuages ocres me recouvre, le passé entier y est inclut. L'expression ainsi que les impressions sont un soufflet qui comme une boule, rétrécit au fur et à mesure que le feu de la destruction s'allume. Il y a en chacun un germe de vie et un germe de mort. Le germe de mort, irrésistible et puissant, s'immisce entre toutes les parties de soi; aussi fines qu'une poussière, elles s'envolent. La vie, flamboyante, douce comme l'eau, appartient à d'autres contrées. Lointaine et pure, elle virevolte dans la lumière.


Je descendis sous les nuages de la destruction et je détruisis, L'esprit de mort entra en mon âme et fit des cendres de l'arbre céleste. Dans la pénombre, dans nos villes froides et bruyantes, je vis l'empire de l'esprit de mort. Se reconnaissant dans cette chambre cubique, sous le voilage obscur des désirs, et l'agitation, la distorsion défigurée, la mort et le temps m'entrainèrent, me donnèrent un numéro, firent de moi une ineptie. Sans espoir, je désirais quitter la périphérie des mondes, les assemblages vides qui, soumis à la pression, forment des corps et des histoires. Je suis devenu une forme, aride et sèche comme une pierre. La mort est originale, offrant toujours une variation supplémentaire, et variation je devins, j'exhibais, comme une poule caquette et un singe vocalise. Ma voix originale se transforma en cendre, de ma bouche sortit des cendres, mon corps s'ouvrit et me laissa voir une poudre qui s'échappa et se dissipa. Ma peau originale se flétrit, épousant les contours du sol, mes os apparurent et mon crâne sécha. Après plus d'un mois, trois gracieuses fleurs s'épanouirent, d'une blancheur immaculée.


Qu'est-ce que notre histoire, effrontément sale, inepte et rabougrie; qu'est-ce que soi-même, libre et stellaire, passant au travers du pire couperet, du plus étroit des goulots ? Le résultat de ce funeste tracé égoïste : des cendres, toujours et sans s'arrêter. Notre histoire, grande tapisserie ennuyeuse, réduite à un seul fil, auquel nous tenons, et sommes enchainés. Alors je partis. Je pris ce fil, l'allumai d'une flamme sérieuse, me retournai en moi-même, je pris la route par laquelle j'étais venu, j'enflammai et soufflai les cendres. L'histoire est étrange, elle s'enroule sur elle-même sans se laisser voir à moins d'avoir soi-même tourné, et inspiré chaque pelure d'oignon, assimilé chacun des nutriments qui la composent, et brûlé les poux qui s'en nourrissent.


Le vent prend source au-delà des dunes, l'eau abonde d'un point situé au-delà de l'horizon, le soleil arrache sa chaleur dans une tête d'épingle, la vite tire son origine des grandes profondeurs. Puis les éléments se construisent et rayonnent différents aspects de la source une. Enfin, les grands flux se tarissent et reprennent vie dans le terrible un. Ainsi tous les êtres se renouvèlent et toute la nature se régénère. Lorsque le chemin s'arrête, lorsque la branche se dessèche, chaque pas alourdit l'erreur. Volonté impie, parasite sur l'arbre, pourquoi continuer ? Ce furent mes pensées alors que je traversai la ville, et me demandait quelle mystérieuse force agissait autour de moi, emmenant les êtres là où ils ne le désiraient pas, emmenant des volontés captives là où il ne subsisterait qu'une ombre. Quelque chose de noir et de froid avait pris possession des volontés, mélangé chaque esprit dans une boue plus noire que noire, planant au-dessus des hommes, les piégeant dans un précipice sans fin, obscurcissant leur conscience de mets dérisoires. Alors que je sentis la fin approcher, je décidai de partir, sans prendre aucune miette d'un festin auquel je ne participai pas et qui m'avait révulsé. La nuit était tombée, et personne ne me cherchait plus.