Il n'est aucun empire humain, Au dessus de moi je ne vois que des oiseaux de mer.

12 avril 2006

Cut-up

Monsieur M... est âgé de 27 ans lorsqu'il est hospitalisé à l'Hôpital neurologique au mois de janvier 1970, à l'ordre des Ombellifères. Les prodromes de sa maladie se manifestèrent au cours de l'été de 1969 par des douleurs intestinales avec diarrhée (la plante ressemble vraiment à une ombrelle), une sensation de brûlure aux pieds et aux mains, une hypersudation nocturne, une insomnie sévère et de la fièvre (38°C). Le malade ne reconnaît personne; il reste étendu sans reconnaître qui que ce soit, mais quand on lui pose des questions il répond correctement; par la suite il n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé. Au début de janvier 1970, la symptomatologie alors au complet associait: des fibrillations incessantes, intéressant tous les muscles et ne subissant aucune modification pendant les rares moments de sommeil ou lors d'une anesthésie générale; des algies des extrémités à type de brûlure et de picotements entraînant un prurit généralisé, un acroérythéme avec oedème peu causant, taciturne, voire méfiant, des crises sudorales nocturnes d'une durée de 2 à 3 h, une tachycardie permanente à 110-120 (la tension artérielle était à 13/7), une fièvre modérée à 37,5-38 °C. Je pense que la réalité (actuelle tout du moins) est plus subtile. L'examen neurologique était entièrement négatif mise à part une paralysie de l'hémivoile gauche du palais qui a partiellement régressé. A force de déception, le malade fait des reproches à tout le monde, et peut finir par avoir un côté hautain, à s'estimer au dessus des autres du fait qu'il finit par croire qu'il est le seul à posséder des valeurs humaines et morales dans un "monde de dégénérés".

L'ensemble de ces symptômes fit porter le diagnostic de chorée fibrillaire de Morvan, il ne lui reste plus qu'à faire le pitre pour se faire remarquer.

Monsieur M... demeura hospitalisé de janvier à novembre 1970, n'hésitant pas à recourir aux plaisanteries les plus grasses, à faire rire à tout prix, faire le pitre, chanter, etc. Les premiers enregistrements polygraphiques, au début du mois de mars, confirmèrent la réalité de l'absence totale de sommeil. Devant l'échec des traitements classiques de l'insomnie: hypnotiques barbituriques (phenobarbItal. 15 cg), tranquillisants (diazepam 15 mg) et neuroleptiques (chlorpromazine 25 mg), on décida d'administrer un traitement faisant intervenir les précurseurs de la sérotonine en vérifiant l'élimination urinaire du 5-HIAA, par exemple c'est souvent le remède de femmes qui restent avec des maris qui leur en font voir de toutes les couleurs.

Un traitement avec le 5-HTP (DL-5-HTP des Laboratoires Fermé) fut administré à partir du 10 mars. L'administration de doses inférieures à 2 g/24 h (10 mars au 4 mai) entraîna une légère amélioration qui disparut après l'arrêt du traitement. Souvent M. est intéressé par le sort de l'humanité et nourrit beaucoup d'inquiétude quant à son devenir. Parfois l'inquiétude est plus centrée sur le malade lui même avec une peur de tomber malade ou la peur qu'une catastrophe ne survienne. Un essai de traitement par le tryptophane (TRY) augmenta ensuite considérablement les hallucinations sans entraîner d'amélioration de l'insomnie. Comme le malade a volontiers tendance à se réfugier dans son monde intérieur (jusqu'à l'extase), il peut aller jusqu'à confondre la présent avec le passé (dans le même ordre d'idée on a les symptômes Sens émoussés, Etrange tout paraît).

A partir du 4 juillet, le 5-HTP fut administré à des doses supérieures à 2 g/24 h. Cette thérapeutique fut suivie d'une importante amélioration clinique et polygraphique si bien qu'entre juillet et septembre, la guérison du malade pouvait être envisagée. Après une suspension de 2 semaines, le traitement fut repris le 28 octobre. Malgré des doses importantes (8 g/24 h environ), une aggravation apparut. Dans ce cas le patient est dans un état stuporeux, répond quand on lui parle, puis retombe dans sa léthargie. Fondamentalement doux et compatissant, le sujet M. se trouve choqué par les réalités de la société ou les comportements humains qui ne cadrent pas avec ses valeurs morales. Cette dernière étape fut accompagnée d'une diminution relative de l'élimination du 5-HIAA urinaire par rapport à la période précédente de traitement au 5-HTP. Les deux remèdes produisent des éruptions croûteuses, notamment dans la région des lèvres où Cic a guéri des cancers recouverts d'une sécrétion jaunâtre. Parfois il s'agit de banales pellicules, mais en général le malade présente quelque croûtes qui suintent volontiers des sérosités jaunâtres qui peuvent saigner quand on les détache.

La mort survint le 21 novembre 1970. On comprend que le malade ne sorte plus guère de chez lui ou qu'il désire y rentrer au plus vite une fois qu'il en est sorti. Il va de soi que cela ne se rencontre pas fréquemment. La vérification anatomique mit en évidence un suboedème pulmonaire. Le sujet est effrayé facilement, cela se manifeste bien sûr par des sursauts mais seules furent retenues dans l'examen de l'encéphale et de la moelle épinière des microhémorragies dans les noyaux latéraux du tuber et les noyaux supraoptiques, des altérations neuronales assez accentuées dans l'olive bulbaire, enfin de très légères modifications morphologiques (densification ou chromatolyse) intéressant un grand nombre de noyaux du tronc cérébral et particulièrement le nucleus raphé dorsalis et le nucleus raphé centralis.

Une biopsie musculaire effectuée en février 1970 a fait l'objet d'un examen au microscope électronique. L'enfant roule la tête d'un côté à l'autre. Tête très chaude… Des lésions circonscrites en petits foyers multiples, évoquant un processus de myolyse focale ont été retenues au niveau du matériel contractile de fibres musculaires apparemment saines. Nous venons de brosser le tableau d'un individu sensible, possédant souvent de hautes vues sur l'avenir de l'humanité, mais qui se trouve heurté de plein fouet par une réalité qu'il trouvera sordide bien plus que nul autre.